dimanche, mars 06, 2011

L'impossibilité d'une île...

De retour d'un Conseil d'Administration de l'IFV (l'occasion de prendre le bon air parisien. Car oui, car il a un bon air parisien. Celui qui flaire bon les films en VO à profusion, les restaurants de toutes natures ouverts à toute heure, les points écoute FNAC à profusion etc...), de retour donc de cette réunion composée -entre autre- des représentants de chaque bassin viticole (10 au total), de l'Etat (France Agrimer), j'en ai conclu que ce genre de réunions 'hors sol' étaient essentielles. Car elle permettaient d'en apprendre plus sur son propre 'territoire' en quelques heures qu'en 5 mois sur l'île... Ainsi, je découvre que, de l'autre côté de la mer, on présente la fusion des bassins Corse-Provence comme quasi acquise. Le Président du Centre des Rosés (centre de recherche viti-vinicole de Vidauban) m'interpelle dans un couloir me disant que nous allons devoir nous rapprocher  (en Corse, nous avons un centre de recherche viti-vinicole Insulaire le CRVI anciennement baptisé CIVAM de la Corse) du fait de la fusion de nos bassins (!). Et la fête continue quand le Président de l'IFV fait défiler sa présentation par bassin de production : Provence-Corse est le premier bassin à l'ordre du jour! Ce qui me donne l'occasion de faire une petite saillie sur le thème de la tectonique des plaques : la Corse aurait t elle dérivé jusqu'en Provence depuis mon vol daté d'il y a 2 jours?! Car pour moi, la Corse garde et gardera un bassin identique à celui décidé lors de sa genèse! Le Représentant de FranceAgrimer, ainsi que le Président de la Chambre d'Agriculture du Var me demandent un aparté : nous quittons temporairement la scène... Ah! Voilà que j'apprends enfin des choses! Paris sera toujours Paris! Curtain falls.

La Carte et le Territoire.

En 2006, l'Etat crée un découpage - appelé bassin viticole - du territoire viticole français. Le but? Le Gouvernement de l'époque juge la France à la traine dans la compétition internationale. Quelle analyse font donc de la situation les technocrates? La voici. La profession est bien trop fragmentée, ceci lié au micro-découpage en AOC. L'AOC est un système de valorisation du terroir difficile à comprendre, pas toujours synomyme de qualité. La communication est difficile à organiser dans ce système atomisé. Les pratiques oenologique françaises inadaptées aux modes de productions du nouveau monde. Peu de 'marques' émergent (du type 'Champagne' , qui veut dire 'terroir', mais surtout 'marque). Bref, dix bassins sont créés. Leur vocation? Devenir les creusets de la modernité viticole française. Avec en charge, la stratégie, la recherche, la communication, la gestion de leur territoire viticole. Le lieu où se décident la mise en oeuvre de pratique oenologique modernes et compétitives (ajout de copeaux , par exemple...), la mise en place de stratégies visibles accompagnées de grosses campagnes de communication, le lieux où l'Etat versera désormais ses sous comptés en attentant le R.O.I espéré...
Le bassin viticole symbolise la victoire du Territoire, sur le Terroir, cette notion considérée comme trop petite et confuse... cette particule élémentaire dont on ne sait plus que faire...

Les particules élémentaires.
Ainsi, sous l'égide d'une même bassin se retrouvent Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie (il est vrai, même terroir, mêmes vins, même combat, donc même .................. désolée, j'ai un point de côté tellement je me marre.................. donc  même communication possible! Ouf! J'y suis arrivée!). La Provence constitue un bassin avec les Cotes du Rhone. Mais elle refuse de siéger, voulant son propre bassin, voulant faire valoir que son destin doit s'accomplir dans le Rosé et que la 'dissolution' dans les Cotes du Rhone - temple du 'Rouge' sera néfaste à son développement. Cette même Provence (du moins, les politique varois) suggèrent au Ministre de l'Agriculture que c'est avec la Corse qu'elle aurait dû siéger (au diable l'éloignement!). Les varois s'agitent, protestent proposent et font pression pour que l'Etat redécoupe sa carte en détachant la Provence des Côtes du Rhône et en agglomérant la Corse à la Provence. 
Côté professionnels Corses, nous ne voyons -pour la plupart- rien venir (seuls les dirigeant de la filière sont au courant de cette agitation). Car la Corse, elle, a obtenu depuis 1996 son propre bassin. Légitimement, et plus logiquement qu'ailleurs en France. Il faut dire que la spécificité de la Corse est accrue par son insularité. Son territoire, tout comme ses 'terroirs' sont  spectaculairement détachés du reste des terroirs français par la Méditerranée (Gloria a tè...!). De plus, la Corse est engagée depuis plus de 30 ans dans des efforts de reconquête de son patrimoine viticole et de redécouverte de son terroir Corse. Un terroir dévasté par des années de pratiques viticoles et oenologiques importées par les rapatriés d'Afrique du Nord, le 'Nouveau Monde' made-in France de l'époque : exit les cépages insulaires, exit le terroir. On fait pisser la vigne, on fait du vin 'éventuellement à base de raisin- mais surtout à partir d'eau, de sucre, et tout ceci répond au nom rassurant de vins médecins...! Bref. Edmond Siméoni, médecin (diplômé, lui!), esprit libre, brillant et visionnaire choisit une voie qui va modifier le destin de la viticulture insulaire, bien compromis à l'époque. Lui qui aurait pû avoir une vie provinciale aisée, remplie, au choix paisible ou chabrolienne (si le piment était venu à lui manquer...) en exerçant son métier de médecin spécialiste (gastro-entérologue), le voilà qu'il s'engage pour la Corse. Ce qui le conduit, en 1975 au 'piège d'Aléria'. Une occupation pacifique d'une cave connue pour ses abus en vins de 'mistouille', trafiqués, frelatés,  plusieurs années après leur interdiction vire au drame. L'Etat ayant envoyé les chars...  Bref, des morts, un drame. Et tandis que E.Siméoni gache quelques belles années de sa vie en prison, la viticulture corse renait de ce tas de cendres et de sang... Le CIVAM de la Corse est crée en 1986. Avec pour mission de renouer avec notre terroir, redécouvrir notre patrimoine viticole (sciaccarellu, Biancu Gentile, Minustellu... autant de cépages qui se retrouvent aujourd'hui sur nos tables grâce aux efforts de recherche du CIVAM. Cépages, pour certains, quasi-disparus... Identification de levures insulaires, cartographie des terroirs viticoles etc...). Sous l'impulsion de vignerons engagés pour le terroir, les vins insulaires retrouvent une âme et peu à peu une place sur les grandes tables...

Extension du domaine de la lutte
Voici des avis qui n'engagent que moi...
- La création des bassins viticoles démontre l'impuissance de la France à valoriser ses vins de terroirs. Les politiques veulent 'aux forceps' provoquer une concentration-intégration de la filière censée faire le poids face aux énormes metteurs en marchés du nouveau monde. Australie : 80% de la production en main de 3 Compagnies. Approche industrielle du marché du vin. Plans quinquennaux. Marketing à gogo. Peu ou pas de restrictions en terme de rendements, de techniques de vinification, d'origines des vins (on peut mélanger des productions distantes de milliers de Km). Au gré des textes et à retardement, nous levons des interdits de ça et là destinés à nous faire 'rattraper' notre retard sur les pays du Nouveau Monde. Bref, la course en queue alors que la Patrie du Vin et du Terroir avait les atous pour faire une course en tête...
- Nous sommes pétris de paradoxes : interdiction de communiquer sur le sol français, mais nécéssité d'organiser une comm' percutante hors de nos frontières. Nous gesticulons sur le thème du TERROIR, mais nous le vidons de son sens. Les vins AOC sont sur une stratégie d'offre. Mais les vins marketés selon la demande veulent pouvoir profiter de l'atout "terroir" dans leur communication.


Plateforme
Le socle, la plateforme de la reconquète viticole française aurait dû passer par les AOC.
-Or, l'AOC est un échec. L'AOC n'est pas devenu synonyme de 'qualité' et 'typicité'. Ce qu'il aurait dû être. Là où les cahiers des charges AOC auraient dû être très restrictifs, ils se sont contentés de stratégies du 'ventre mou' afin de satisfaire  des producteurs aux profils et aux aspirations très différentes. Le même phénomène existe d'ailleurs avec les DOC en Italie. Ainsi, les AOC dites 'généralistes' sont celles qui 'trinquent' et celles pour qui les gouvernants cherchent des débouchés improbables... Exemple : l' AOC Bordeaux (dite 'générique'). Une AOC qui ne 'porte' pas ses producteurs. N'aurait t il pas mieux valu 'sortir' de l'AOC ces vignobles et les laisser 'batailler ' sur un cahier des charges beaucoup moins restrictif (type VDP) où ils auraient pû mettre en avant le Cépage (le Merlot et non l'Appellation), uiliser des techniques de production, de rendement, d'amélioration des vins (les copeaux versus les barriques) moins onéreuses, et plus adaptées au segment de prix auquels ils sont confrontés... Mais non, au lieu de cela, on a considéré qu'il fallait tirer parti d'une AOC vide de sens... Ce qui conduit à des rencontres du troisième type au linéraire vin : l'AOC Bordeaux à 2 euros...! J'ai cité l'AOC Bordeaux, mais ceci est valable pour toutes ces appellations aux contours trop larges et flottants, AOC souvent de 'replis' pour les AOC de catégorie supérieures n'ayant pas rempli leur 'contrat'. C'est d'ailleurs le cas de l'AOC Corse, vaste territoire auquel j'appartiens. L'AOC Corse n'a aucune unité, s'étendant de Ponte-leccia au Nord de Porto-Vecchio. Aucune unité de terroir. Ou plutôt  plusieurs type de terroirs pour cette même appellation. Ainsi, le terroir du Clos Fornelli est composé exclusivement d'alluvions fluviatiles mêlées de galets roulés, issus de l'erosion du massif schisteux de la Castagniccia. Les terroirs des vignoble de Bravone, Aléria sont 100% alluvions maritimes, avec des sables...etc. Cette AOC est le siège des grandes Coopératives de l'île pour qui il est essentiel de travailler la Marque plus que le Terroir... Une quadrature du cercle impossible dans cette 'fausse AOC'... La philosophie de l'AOC est "je peux déterminer le terroir (et donc l'AOC) dont est originaire un vin en le dégustant. Sur le site de L'INAO, une phrase qui résume le tout à propose des vins Rouges de l'AOC Corse : "gamme très variée en fonction des dominantes des cépages." Exit.- C'est sur la réhabilitation des AOCs que le chantier aurait dû porter et non sur la création d'une méta-structure sensée donner du sens à des regroupements qui n'en ont pas. On nous explique que le système des AOCs est trop complexe, illisible. Pourtant,  voyez la bourgogne, ses 100 AOC et ses 635 climats parmis lesquels des premiers crûs que le monde entier s'arrache à prix plus qu'honorables...! Certains étrangers sont amoureux de cette 'complexité' si française. Une complexité toute relative. Car quand on regarde la classification des AOC bourguignones avec en parallèle une carte représentant une coupe géologique de la Côte, l'explication est lumineuse et cristalline! La répartition des AOCs est calquée sur une réalité de terrain : le terroir, quoi... Pourtant,  René RENOU (le Président de l'INAO jusqu'en 2006) avait caressé le rêve fou de réhabiliter les AOC. AOC=TYPICITE=QUALITE SUPERIEURE. Certains grands vignerons comme Marc LAPIERRE avaient monté avec lui un groupe de travail " pour aller avec d’autres à Bruxelles discuter de l’avenir des vins de terroir...". Ces deux là ont été "fauchés" trop tôt. La réhabilitation des AOCs avec. Lire : http://www.patrick-baudouin-layon.com/MARCEL-LAPIERRE-UN-VIGNERON.html



L'impossibilité d'une île
Dans ce dossier de 'bassins' la Corse a bénéficié d'un découpage géographique cohérent. (Merci à la bassine Méditerranée....). Dont acte. La Provence veut ce rapprochement avec la Corse arguant que pour nous comme pour elle, "le rosé a façonné l'identité du terroir". Une fois de plus le terme de terroir est mis à toutes les sauces. Le "rosé de Provence" est une style, une marque. Rien à voir avec la notion de terroir...
Le Ministre de l'Agriculture - quant à lui-  ne veut pas générer de précédent en créant un bassin de plus pour la Provence. Il mandate des "experts" sur l'île pour voir comment organiser la fusion Corse-Provence. Effet dominos. L'IFV qui a pour visée de reprendre à son compte toutes les structures de recherche viti-vinicoles régionales (avec à terme une seule par bassin, finances obligent...) se prend à rêver d'une intégration du CRVI Corse dans ses rangs. FranceAgrimer pourrait précipiter le mouvement en jouant sur les cordons de la bourse (fond d'investissement uniquement sur des programmes nationaux, lesquels devront être orchestrés par l'IFV...).


N'est t il pas grand temps pour la Corse de faire savoir que nous ne sommes pas disposés à 'laisser faire'?
Allez, je lance le mouvement et voici ma contribution à la future vindicte populaire, à travers ce slogan inédit : "ni dupes ni soumis!".



2 commentaires:

Nathalie a dit…

Bravo pour ce document ou plutôt cet article drôle, technique instructif...

Anonyme a dit…

Merci pour ce texte! qui démontre qu'il existe encore des gens lucides et désintéressés pour qui l'intérêt général de la filière et donc de la Corse l'emporte encore sur les possibles "arrangements" entre amis. Notre spécificité est notre force, par vos écrits vous contribuez à sa préservation.